Vu de Moscou

Pourquoi Al-Assad s'est rendu au Kremlin pour rencontrer Poutine

En convoquant le président syrien, Moscou envoie un message diplomatique.
par Veronika Dorman, correspondante à Moscou
publié le 21 octobre 2015 à 13h05

Pour la première fois depuis le début de la crise syrienne le président Bachar al-Assad a quitté son pays, et c'est pour se rendre en secret à Moscou. Mardi soir, Vladimir Poutine a reçu son homologue syrien, en toute confidence, sans convoquer ni même prévenir les médias, pas même les plus loyales chaines et agences publiques. Les images de cette rencontre, réalisées par le service de presse du Kremlin, n'ont été diffusées que le lendemain, une fois Assad rentré à Damas. Selon le quotidien Kommersant, la rencontre a été tenue à l'abri des micros à la demande du président syrien. «C'est sûrement pour des questions de sécurité, commente l'expert du Proche-Orient au centre Carnegie, Alexei Malachenko. Assad a très peur pour sa peau.»

Visiblement, cette rencontre est une initiative du Kremlin. «Merci d'avoir accepté notre requête et d'être venu en Russie malgré la situation dramatique dans votre pays», a dit Poutine en préambule de l'entretien, après avoir échangé des sourires et poignées de mains chaleureuses avec Assad, signifiant ainsi que c'est bien Moscou qui a convoqué Damas. Le président russe a rappelé ensuite que c'est en vertu de la demande du gouvernement syrien que la Russie est en train d'apporter une «aide précieuse au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme». Assad n'a pas manqué lui aussi de remercier Poutine pour le soutien «du leadership et du peuple russe» à l'unité et à l'indépendance de la Syrie. «Ce qui est le plus important, c'est que cela soit fait dans le cadre de la législation internationale», a souligné Assad, en écho au refrain de Moscou depuis le début des frappes russes en Syrie.

«Contact personnel»

La brève partie de la rencontre qui a été rendue publique est évidemment très officielle et convenue. Les deux présidents sont totalement d'accord sur le mal absolu que représente le terrorisme, aussi bien que sur la nécessité de le combattre, ensemble. Au passage, Poutine a tout de même rappelé que l'implication de la Russie n'est pas un geste de pure solidarité désintéressée : «Ce qui nous inquiète en Russie, c'est que, malheureusement, se battent sur le territoire syrien contre les troupes gouvernementales au moins 4 000 combattants issus d'ex-URSS. Et nous ne pouvons pas permettre qu'après avoir acquis une expérience guerrière et avoir été soumis à un endoctrinement, ils rentrent sur le territoire russe», a-t-il précisé. Sans oublier de rassurer Assad : la Russie est «prête à faire tout son possible non seulement en matière de soutien militaire […] mais aussi pour [enclencher] le processus politique».

Deux fois au cours de sa brève allocution, Poutine est revenu sur la nécessité de trouver une solution politique à la crise, en incluant dans le processus «toutes les forces politiques et tous les groupes ethniques et religieux» et «en laissant le mot de la fin au peuple syrien». Et Assad d'acquiescer, comme s'il avait toujours été de cet avis : «Bien sûr que toute action militaire suppose des pas politiques, et évidemment que notre unique objectif doit être celui de respecter la volonté du peuple syrien quant à son avenir.» Autrement dit, Poutine a officiellement expliqué à Assad qu'il l'aidera le temps qu'il faut, mais que ce n'est pas lui, Assad, qui aura le dernier mot. Et le président syrien en a publiquement convenu.

«Le résultat de cette rencontre sera visible dans les jours qui viennent, mais comme les sujets abordés étaient sûrement extrêmement sensibles, Bachar et Poutine devaient se voir en personne, insiste Malachenko. C'est un point commun qu'ils ont, ils accordent beaucoup d'importance au contact personnel». Ce serait aussi une manière, pour Poutine, d'envoyer un message à bon entendeur : il faudra voir la main de Moscou dans les prochaines décisions ou actions du président syrien.

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