Analyse

Le Monténégro bientôt dans l’Otan

Malgré ses travers antidémocratiques, l’ex-République yougoslave est invitée à rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. L’antichambre de l’Union européenne ?
par Hélène Despic-Popovic
publié le 2 décembre 2015 à 18h15

Les 28 ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Alliance atlantique «ont invité» ce mercredi à Bruxelles le Monténégro à les rejoindre. Le petit pays de 650 000 habitants, indépendant depuis sa séparation de la Serbie en 2006, deviendra ainsi à la fin du processus d’adhésion, prévu pour durer un an et demi, le 29e Etat membre du traité de l’Atlantique Nord. Le dernier élargissement de l’Alliance date de 2009, avec l’entrée de l’Albanie et de la Croatie. Le Monténégro est ainsi le troisième des Etats de l’ex-Yougoslavie à entrer dans l’Otan (après la Slovénie et la Croatie).

Si l’on comprend bien les raisons qui poussent cette ancienne République yougoslave à se lier à l’Otan, une étape perçue comme l’antichambre de l’Union européenne à laquelle elle est candidate, on comprend moins celles qui motivent l’Otan, si ce n’est la volonté de tout organisme de perdurer et de s’élargir, ainsi que la persistance d’un réflexe hérité des guerres yougoslaves qui veut que seule la Serbie, le plus peuplé des Etats nés de l’ex-Yougoslavie, représente encore une menace pour la paix dans la région, surtout si d’aventure elle liait son destin à Moscou.

La Serbie isolée

Ceci illustre l’isolement dans lequel la Serbie, qui n’est pas dans l’Otan, est maintenue, et la bienveillance avec laquelle l’Otan et l’UE considèrent le Monténégro, en dépit de son déficit démocratique, de son niveau élevé de corruption et de ses manquements à l’Etat de droit.

Depuis vingt-cinq ans – un record en Europe –, le Monténégro est dirigé par Milo Djukanovic, un ancien proche de l’ex-dictateur serbe Slobodan Milosevic, avec il a partagé l’épopée guerrière en Croatie et en moindre mesure en Bosnie, avant de s’en détacher lors de l’intervention de l’Otan au Kosovo en 1999. L’homme, aujourd’hui âgé de 53 ans, a réussi le tour de force d’obtenir l’indépendance de son pays sans entrer en conflit avec le voisin serbe, dont la population est dix fois plus nombreuse. Il alterne pratiquement sans discontinuer les positions au sommet du pouvoir, tantôt président, tantôt Premier ministre.

Accusations de zoophilie

Son clan, en premier lieu son frère et sa sœur, comptent parmi les plus puissants et les plus riches du pays. Il a pratiquement réduit au silence l'opposition tandis que menaces et campagnes de calomnies n'ont cessé de s'abattre sur les médias et les ONG. La pire a visé Vanja Calovic, la présidente de Mans, une ONG anticorruption, accusée l'an dernier, photomontage à l'appui, de zoophilie. Le Premier ministre Djukanovic en personne était intervenu pour dire que la militante n'avait pas été critiquée pour son engagement mais pour «un comportement contraire à la morale publique».

Il serait faux toutefois de dire que le Monténégro n’a pas progressé. Mis en demeure de s’amender par ses partenaires de l’UE et de l’Otan, il a fait des efforts contre la corruption. La justice a récemment entamé des procédures contre les mairies de Bar et de Budva, tenues par des membres du parti au pouvoir, où se sont produits de graves scandales immobiliers. En revanche, les tentatives de l’opposition de dénoncer les achats de voix lors des élections ou d’arracher une réforme des procédures électorales se sont soldées par des échecs. Le mois dernier, la police a même brutalement dispersé des manifestants, frappant notamment des députés qui réclamaient de nouvelles élections.

Moscou proteste

Alors que le gouvernement stigmatisait pendant la dernière décennie toute opposition en la traitant de pro-serbe, voici que depuis des mois, tous les mouvements de contestation sont qualifiés de «prorusses» et d'anti-Otan. Il est vrai que la population de ce petit Etat est traditionnellement russophile et très divisée sur l'opportunité d'entrer dans l'Alliance atlantique. L'opinion se souvient que les tsars ont aidé la petite principauté jamais asservie contre les Ottomans au XVIIIe et XIXe siècles. Quant aux populations serbes présentes dans le nord du pays, elles n'ont toujours pas digéré les bombardements de l'Alliance de l'année 1999.

La Russie, qui a des relations économiques très développées avec le Monténégro, a qualifié cette invitation de «provocation», estimant que ce nouvel élargissement à l’est porterait un coup aux relations entre Moscou et l’Alliance atlantique. Mais son irritation n’a en aucun cas la même violence que celle qu’elle éprouverait s’il s’agissait de la Géorgie ou de l’Ukraine qui, une fois de plus, resteront à la porte de l’Alliance.

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